Lecture : Matthieu 21, 23-32

« Les collecteurs d’impôts et les prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu ! » s’exclame Jésus. Il s’agit là d’une condamnation féroce, car dans l’enceinte même du temple de Jérusalem, cette apostrophe on ne peut plus cinglante est adressée aux grands prêtres et aux anciens du peuple. Devant les plus hautes autorités religieuses d’Israël, Jésus fait l’éloge de deux catégories de personnes largement méprisées. Collaborateurs de l’occupant romain, les collecteurs d’impôts ne manquent pas de s’enrichir au passage sur le dos du contribuable, à tel point qu’un dicton juif affirmait qu’il « vaut mieux être un porc qu’un collecteur d’impôts » (ce qui en dit long sur la réputation des collecteurs d’impôts, le porc étant, aux yeux des Juifs, l’animal impur par excellence). Quant aux prostituées, elles sont, dans la Bible, le symbole même de l’infidélité. Que de pages où Dieu s’attriste de son peuple volage qui, sans cesse, telle une prostituée, se jette dans les bras d’autres dieux et les préfère à lui !

Mais comment Jésus peut-il affirmer une chose aussi choquante ? La courte parabole qui précède cette altercation avec les grands prêtres et les anciens du peuple nous renseigne. Un homme, raconte Jésus, a deux fils auxquels il demande d’aller travailler à la vigne. « Non » répond le premier ; mais, pris de remords, il s’y rend malgré tout. « Oui » acquiesce le second ; mais, dénué de scrupules, il n’en fait rien. « Lequel des deux a fait la volonté de son père ? » demande Jésus. Tous répondent : le premier, celui, qui, au départ, avait regimbé.

En répondant « le premier », prêtres et anciens donnent la bonne réponse, mais ont-ils conscience de prononcer, ce faisant, leur propre condamnation ? Car, Jésus veut leur faire comprendre ceci : vous dont c’est la profession de dire « oui » à Dieu, n’avez-vous pas reconnu dans le message de Jean-le-Baptiste un signe fort que Dieu vous envoyait alors que les collecteurs d’impôts et les prostituées ont cru en lui et ont demandé son baptême ?

De fait, les premiers à accueillir la Bonne Nouvelle de Jésus ont été les gens du peuple, sans grands moyens, et aussi des personnes plus aisées mais rejetées comme Zachée, le riche publicain qui, converti, fait don aux pauvres de la moitié de ses biens (Lc 19, 1-10), ou encore la prostituée tout en pleurs qui, chez Simon, répand du parfum précieux sur les pieds de Jésus (Lc 8, 36-50). Les uns comme les autres, d’une certaine manière, avaient commencé par dire « non » à Dieu par la manière dont ils conduisaient leur vie ; et un jour leur rencontre avec le Seigneur les a bouleversés et transformés, à tel point que leur existence est devenu un « oui » vrai et résolu. Certains, d’ailleurs, s’étaient déjà convertis en écoutant la voix du Baptiste, tels ces collecteurs d’impôts qui vinrent au Jourdain se faire baptiser par Jean en lui disant : « Maître, que nous faut-il faire ? » et qui reçurent comme réponse : « N’exigez pas plus d’impôts que ce qui vous a été fixé par les autorités » (Lc 3, 12-13). Ou encore les militaires, auxquels Jean dit : « N’usez pas de votre force ou de vos armes pour intimider le peuple et lui soutirer des avantages ». Les impôts existent pour créer des biens et des services et l’armée est là pour protéger les citoyens. Quand l’un ou l’autre dépasse cette limite fixée par la loi, l’injustice et la terreur règnent en maître dans la société humaine.

Jésus s’en prend aux professionnels du sacré que sont les grands prêtres et les anciens du peuple. De quoi les accuse-t-il ? De s’être installés dans la foi de leurs ancêtres, sans jamais tenter de la vivifier ou, plus exactement, de la revivifier. Appartenant à la catégorie respectée des « gens biens », ils n’ont pas entendu, ou voulu entendre, l’appel à la conversion de Jean et de Jésus. Apparemment, ils disaient « oui » ; mais, peu à peu, c’est le « non » qui a pris le dessus. Les prostituées, les gens d’armes et les collecteurs d’impôts, eux, ne se satisfaisaient pas de leurs situations de pécheurs : ils espéraient la miséricorde de Dieu. Tout d’abord ils avaient dit « non » ; mais touchés par Jean ou Jésus, ils ont fini par ouvrir leur cœur au Seigneur en lui disant « oui ». En vérité, personne n’est exclue du Royaume des cieux, mais n’y pénètrent que celles et ceux qui ont une conscience aiguë d’avoir besoin de la grâce de Dieu. Car pourquoi les pécheurs et les plus décriés arrivent-ils au Royaume avant les grands prêtres et les anciens du peuple ? Non à cause de leur péché, mais parce qu’ils se savent pécheurs et comptent sur ce Dieu qui lave de la faute et purifie du péché.

Jésus confirme cela lorsqu’il parle de Jean le Baptiste aux foules : « Tout le peuple en l’écoutant et même les banquiers et les gens d’armes ont reconnu la justice de Dieu en se faisant baptiser par Jean. Mais les pharisiens et les prêtres ont repoussé le dessein que Dieu avait pour eux en ne se faisant pas baptiser par lui (Lc 7, 29-30). En entendant ces paroles, les grands prêtres et les pharisiens cherchèrent à l’arrêter, voire même à le tuer. Mais ils eurent peur des foules, car elles le tenaient pour un prophète.

Si donc Jésus refuse de répondre à ceux qui lui demandent d’où vient son autorité à faire des miracles, c’est qu’il connaît la perfidie de ceux qui l’interrogent. En somme, il leur dit : « Vous refusez de voir l’évidence (la mission  divine du Baptiste), ce n’est donc pas la peine de discuter avec vous d’une autre évidence : ma filialité divine, rien ne vous convaincra ».

Et nous ? Quelle est notre attitude devant Dieu ? Est-elle de toujours dire « oui » et de ne jamais faire sa volonté ou de dire systématiquement « non », au risque de changer d’avis ? On parle beaucoup d’amour dans le christianisme. Des injonctions comme « tu aimeras ton prochain comme toi-même » ou « aimez-vous les uns les autres », nous semblent parfois difficiles à suivre. Nous disons « oui, oui », quand nous pensons « non ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Que nous sommes égoïstes et hypocrites, ou incapables d’aimer ?

Ni oui ni non. Comment cela ? Cela veut dire que nous ne pouvons aimer autrui si nous n’apprenons pas à nous aimer nous-même. Vous aimer vous-même est la clé pour pouvoir aimer autrui. Aujourd’hui, vous pouvez franchir un grand pas dans vos retrouvailles avec l’amour, en guérissant votre relation avec vous-même. L’amour commence par soi. Lorsque votre relation avec vous-même est fondée sur l’amour et le respect, toutes vos relations changeront, y compris celles que vous entretenez avec ceux que vous aimez.

Que ressentez-vous envers vous-même ? Vous aimez-vous, vous respectez-vous vraiment, vous honorez-vous ? Si la réponse est « non », cela explique  pourquoi vous avez eu le cœur brisé tant de fois. Lorsque vous ne vous aimez pas, que vous ne vous respectez pas ni ne vous honorez, vous permettez aux autres de vous traiter aussi sans amour, sans respect et sans considération. Par contre, une fois que vous avez appris à vous traiter avec amour, respect et honneur, il ne vous est plus possible d’accepter moins que cela de la part d’autrui. Si quelqu’un veut jouer un rôle important dans votre vie, comme ami, amant ou conjoint, vous savez déjà le genre de personne qu’il doit être. Si cette personne n’est pas conforme à ce que vous voulez, la chose est évidente, et vous le percevrez dès le départ. Pourquoi ? Parce que vous êtes fidèle à votre intégrité et que vous ne vous mentez plus. Vous avez appris à dire « non » à l’exploitation et « oui » au respect…

Que devons-nous retenir de tout ceci ? Faire la volonté de Dieu consiste-t-il à renier ses propres intérêts, à renoncer à ce qui nous fait plaisir et à souffrir pour que Dieu nous aime ? Loin de là. Cela signifie, au contraire, que nous devons sortir d’un égoïsme mal calculée, pour entrer dans une vie pleine et entière et la croquer à pleines dents. Si nous devons aimer tout le monde, cela inclut nécessairement l’amour de soi. Certes, Jésus nous demande de faire un effort pour nous rapprocher des autres, ainsi que de Dieu qui est la source réelle de la vie, le mystère de tout vivant. Il ne s’agit pas là d’une obligation, mais d’une recommandation. Dans l’Ancien Testament, Dieu dit : « Vois, je mets devant toi la vie et le bien, la mort et le mal. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta famille, pour aimer l’Eternel, ton Dieu, pour obéir à sa voix, et pour t’attacher à lui » (Deutéronome 30, 19-20). Il nous demande de dire « oui » à la vie, même si pour nous cela n’est pas toujours évident.

Jean-Christophe Perrin

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