Lecture : Actes 2: 1-28 ; Galates 5: 13-24

A Pentecôte, les apôtres se mettent à parler en de multiples langues, afin que tous les hommes puissent comprendre le message du Dieu de Jésus-Christ. A Babel, Dieu divisa les langues, afin que les hommes ne se comprennent plus. On peut quand même se poser des questions. Pourquoi, à Babel, Dieu n’a-t-il pas voulu que les hommes réalisent ce qu’ils projetaient ? Pourquoi Dieu a-t-il jugé mauvaise cette idée de construire ensemble une grande ville avec une grande tour qui allait jusqu’au ciel ? Après tout, nous avons construit nous-mêmes des tours qui font la fierté de notre pays : la tour Eiffel ou la tour Montparnasse. A Dubaï, à Shangaï, à Londres ou à New York, nous avons aussi de magnifiques tours1.

L’idée principale qu’il faut relever dans ces deux histoires, celle de Babel et de Pentecôte, c’est la communication. Dans un cas, plus personne ne se comprend, dans l’autre les gens comprennent ce qui est dit dans leur propre langue ; alors que l’entreprise humaine se heurte aux barrières des cultures, le message du Christ ressuscité est universel. Le langage de l’Esprit se comprend, même sans l’usage de mots articulés. L’inverse est vrai aussi : même quand on parle la même langue, parfois on ne se comprend pas.

Aujourd’hui, avec Internet, la communication nécessite un apprentissage. Certes, on peut facilement communiquer avec tout le monde, même avec les gens les plus éloignés. Et malgré tout, il n’y a plus d’immédiateté, plus de face à face. Ce que nous avons gagné en efficacité et en rapidité, nous avons perdu au niveau de la relation humaine. C’est ainsi que nous nous sentons de plus en plus différents, de plus en plus étrangers les uns pour les autres et que nous en souffrons. Nous sommes torturés par le langage et la plupart de nos conflits proviennent du fait que nous ne nous entendons pas sur les mots que nous utilisons.

A titre d’exemple, voici quelques phrases contradictoires qui expriment la nature complexe de notre communication et la manière de nous comprendre :

  • Les poètes comptent leurs pieds avec leurs doigts.
  • Je donnerais cher pour être riche.
  • Notre pays est la seule nation où il y a autant de problèmes qu’ailleurs.
  • L’homme n’est pas fait pour travailler et la preuve c’est que ça le fatigue.
  • Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent (Jules Romains).
  • Si quelqu’un dit : Je me tue à vous le dire ! laissez-le mourir (Jacques Prévert).

Ces locutions sont pourtant parfaitement compréhensibles. Mais l’incommunicabilité est à son comble quand nous utilisons des propositions qui semblent tellement évidentes qu’elles n’ont même plus besoin d’être clarifiées. Par exemple, quand j’entends un frère ou une sœur dire à un autre frère ou sœur : « ce n’est pas chrétien de dire ça ! », comme je ne sais pas ce que veut dire « être chrétien » pour la personne qui adresse ce reproche, cela ne me parle absolument pas. Il eut été plus clair si cette personne avait pu exprimer réellement son désir en disant : « je n’aime pas telle ou telle chose qui a été dite, parce que je pense que, etc. ». Du moins, cette façon de s’exprimer laisse à l’interlocuteur la possibilité d’une véritable communication, car celui-ci peut répondre ou s’expliquer. Tandis qu’un jugement catégorique ne souffre aucune réplique : la vérité est dans la bouche de celui qui l’exprime.

Voilà pour les problèmes de communication. Ceux et celles qui sont intéressés par le sujet d’une meilleure communication sont invités à lire les livres de Jacques Salomé, en particulier : « T’es-toi quand tu parles ». Et il est vrai que nous gagnerons à apprendre à mieux communiquer entre nous, sans avoir tout le temps recours aux machines.

Mais revenons à notre sujet, qui se déroule au jour de la Pentecôte. Pourquoi Dieu a-t-il fait le chemin inverse qu’à Babel, en permettant à toutes ces personnes qui parlaient dans des langues différentes de comprendre le même discours ? La Pentecôte est la date du fondement de l’Eglise, et l’Eglise est un lieu dans lequel nous avons la conviction que nous pouvons mieux communiquer les uns avec les autres, car nous nous considérons tous les enfants d’un même Père. C’est cette conviction qui constitue notre langage commun. Mais cette conviction commune donnée par l’Esprit Saint laisse subsister des divisions entre les chrétiens, entre les différentes églises et aussi au sein de chacune de nos communautés.

Certains pensent que ces divisions sont en réalité une bénédiction de Dieu, alors que d’autres les déplorent. Ainsi, j’entends souvent, lors d’une cérémonie œcuménique, des gens qui soupirent et disent : « Quel dommage que l’on ne puisse pas former qu’une seul Eglise ! » Cette remarque, souvent exprimée par les catholiques, est comme une invitation à rentrer au bercail. « Pourquoi faire des églises différentes, quand nous croyons tous au même Père, au même Fils et au même Esprit ». L’important, leur semble-t-il, c’est de maintenir une unité, fût-elle de façade.

Le protestantisme, quant à lui, joue résolument la carte de la liberté d’expression – tant pour les convictions que pour la forme du culte –, au point qu’il apparaît comme un pullulement de petits groupuscules où nos frères catholiques disent ne pas se retrouver. A cet égard, l’Eglise Protestante Unie est résolument multitudiniste, c’est-à-dire qu’elle est une Eglise où se joue la diversité. Au sein de l’EPUdF, il y a bien sûr des réformés et des luthériens, mais il existe aussi des orientations théologiques fort différentes : on y trouve des libéraux, des traditionnels qui se réclament de Calvin, des évangéliques, voire des pentecôtistes, et que sais-je encore2 ! Il s’agit d’une unité dans la diversité. Et telle est bien la compréhension de Pentecôte.

Il faut d’ailleurs avoir cette ferme conviction que malgré les écueils et tous les désaccords, l’Esprit aura toujours le dernier mot. C’est ce qui nous permet de reconnaître en des hommes et des femmes à vues humaines parfaitement insupportables des frères et des sœurs en Christ. Chaque fois que nous administrons un baptême, ou que nous célébrons une confirmation, nous confessons cette conviction formidable qu’au-delà de ce qui nous divise, Dieu est capable de faire, avec des divisions, progressivement des différences, et avec des différences, peu à peu, des enrichissements. Il nous appelle, chacun d’entre nous, en raison de l’amour fraternel, à regarder nos différences comme des complémentarités.

C’est ainsi que l’expression de notre foi peut prendre des formes variées. Il y a ceux qui pensent que, depuis Pentecôte, Dieu s’adresse directement à eux dans des révélations et des prophéties, et ceux qui au contraire pensent qu’il doit être un souci premier pour l’Eglise de se préserver de tout illuminisme. Eh bien, frères et sœurs, nous sommes une Eglise qui croit et confesse que le Saint-Esprit peut tout faire et c’est cela que nous célébrons à Pentecôte. En vérité, c’est bien la diversité qui fait notre unité. Nous avons la certitude que Dieu nous aime comme nous sommes et qu’Il nous a appelés et qu’Il nous appelle, aujourd’hui encore, par notre nom, parce qu’il est notre Père.

La nouvelle vie en Christ

Ce dont il est question, lors d’une confirmation, c’est la possibilité pour le catéchumène d’être baptisé par l’Esprit, de renaître spirituellement et d’être appelé à une nouvelle façon de vivre.

Paul nous avertit qu’en confessant « Jésus est le Seigneur », nous avons déjà une révélation de l’Esprit. Nous ne sommes pas appelés à argumenter, débattre ou défendre telle ou telle doctrine ; nous sommes appelés à témoigner de la vérité. Cette vérité, c’est la découverte de qui nous sommes en Christ. Cette vérité nous rend totalement, profondément libres de toute pensée mensongère ou équivoque quant à la manière dont nous devrions vivre.

Il y a donc une façon de vivre en chrétiens qui est radicalement différente de celle des gens qui sont englués dans les préoccupations du monde. Cette façon de vivre n’est pas comme une obligation qui vient de l’extérieur, mais est plutôt à découvrir en méditant le message des évangiles et en fréquentant des frères et des sœurs en Christ.

Que vous attendriez-vous à remarquer si vous vous promeniez à travers une orangeraie, en période de récolte ? Le parfum frais de l’agrume, assurément : preuve de la présence manifeste du fruit. De même, que vous attendez-vous à remarquer chez les personnes nées de nouveau – de cette vie nouvelle qui vient d’en haut – et dotées d’une nouvelle identité en Christ ? Du fruit émanant de Dieu, naturellement et spontanément produit par Christ en eux. Le fruit de l’Esprit, c’est : « l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la fidélité, la douceur et la maîtrise de soi » (Galates 5, 22-23).

Le baptême symbolise la « deuxième naissance ». Nous sommes nés une première fois du ventre de notre mère et une seconde fois, nous naissons de l’Esprit. C’est en recevant le baptême de l’Esprit que nous pourrons être amenés à porter du fruit et à renoncer à un mode de vie impie et aux convoitises de ce monde.

L’un des aspects du fruit de l’esprit, c’est la joie. Nous devons faire l’’expérience de la joie, ce qui implique d’avoir de Dieu une image positive. De nombreuses églises ont fait de la confession du péché le fondement de leur foi, ligotant, une fois de plus, leurs fidèles à la culpabilité et à la condamnation. Or le message de salut nous appelle à penser et vivre conjointement avec Dieu, nous attendant à porter spontanément du fruit puisque ses pensées sont nos pensées. Et que les pensées de Dieu sont toutes joyeuses.

Chers catéchumènes, vous êtes aujourd’hui invités à porter du fuit à la hauteur de votre nouvelle conception de vous-même. Paul nous dit : « Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait » (Romains 12, 2). Il est essentiel que nos pensées soient continuellement renouvelées afin de ne pas retomber dans le piège de la condamnation. Malheureusement, la manière dont nous parlons et la manière dont nous pensons reflètent parfois encore la manière négative dont nous nous considérions avant d’être en Christ. Ce type de mode de pensée morbide ne fait qu’encourager nos anciens schémas, nous empêchant de nous concentrer sur la victoire remportée en Christ.

Des années durant, du haut de la chaire, nous avons prêché que nous étions coupables et que Dieu nous punirait si nous ne changions pas de comportement. Ce message a conduit les fidèles à ne plus fréquenter nos églises ou encore à devenir anxieux quant à ce qu’ils devaient faire pour éviter le jugement divin. Si nous sommes en Christ, nous devons savoir qu’il nous a libérés de nos anciennes manières de penser et d’agir. Dieu ne s’attend pas à ce que nous soyons à tout moment un modèle de droiture. Dieu n’est pas un dieu méchant qui exige de nous des efforts impossibles à accomplir. Non, vivre en vainqueur signifie s’abandonner à l’œuvre accomplie par le Christ. Il faut savoir, voir et comprendre qui vous êtes véritablement et comment Dieu, Lui, vous voit, maintenant que vous êtes en Christ.

Si vous êtes en Christ, vous êtes alors une « nouvelle créature », vous êtes une personne complètement différente. Vous n’êtes plus pécheur, mais « justice de Dieu ». Il n’est plus question de condamnation, seulement de rédemption. La rédemption génère la confiance en soi, l’amour, la joie, l’optimisme, car vous ne vous sentez plus coupable et pouvez vivre une relation intime avec Dieu. En Christ, le médiateur, nous recevons la plénitude des dons de l’Esprit et avons accès à une nouvelle façon de vivre. C’est par l’Esprit que nous pouvons nous rendre compte que Dieu est bon et que la vie est belle !

Jean-Christophe PERRIN

1 A noter que les tours jumelles de Manhattan sont tombées par la faute des hommes et non par Dieu.

2 La même diversité, à l’exception de Luther et de Calvin, se retrouve au sein de l’Eglise catholique.

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