Lecture : Exode 16, 1-16 ; Jean 14, 18-27

Je ne sais ce qu’il en est aujourd’hui, mais autrefois, le salut était une chose que tous attendaient et espéraient et chacun voulait savoir ce qu’il pouvait faire pour se libérer. Et pourtant – et en cela, ils sont résolument modernes – les Israélites, depuis le début de la sortie d’Egypte – pendant les quarante années où ils furent dans le désert, et jusqu’à leur entrée sur la terre d’Israël – ne cessèrent de se plaindre et de pleurer.

Le gémissement, les jérémiades, les reproches, les protestations. En lisant attentivement les récits des premiers livres de la Bible, on ne peut s’empêcher de remarquer la récurrence des plaintes du peuple d’Israël à travers toutes sortes de situations et d’épreuves.

Quand Moïse demande pour la première fois à Pharaon de libérer les Israélites et que Pharaon alourdit ses décrets, ils se tournent vers Moïse et Aaron et disent : « Vous nous avez mis Pharaon à dos ! (Ex 5). Par votre faute, nous souffrons encore plus ! Déjà que ce n’était pas drôle avant, mais aujourd’hui alors, non mais vraiment, c’est le comble !!!… » Non seulement, ils ne remercient pas Moïse pour ses efforts réitérés en vue de les libérer, mais en plus ils l’accusent d’aggraver leur servitude.

Dieu délivre son peuple. Celui-ci sort d’Egypte avec tout son cheptel et ses richesses et tout le monde est content. Mais tout à coup, Pharaon change d’avis et se met à les poursuivre avec toute son armée. Alors, les Israélites se répandent en lamentation et pointent Moïse du doigt : « N’y avait-il pas assez de tombeaux en Egypte pour que tu nous mènes dans le désert pour y mourir ? Il aurait mieux valu être esclaves en Egypte que mourir dans le désert ». Le peuple aurait dû se souvenir de tous les miracles et prodiges que Dieu avait fait pour eux. Comment Dieu avait manifesté les dix fléaux : l’eau changée en sang, la pluie de grenouilles, la grêle et le feu tombant du ciel, l’invasion de sauterelles dévastant les récoltes, la mort des premiers-nés qui épargnent tous les Israélites…

Ils auraient dû dire à Moïse : « Nous te remercions infiniment pour tout ce que tu as fait pour nous, mais cette situation est dure et alarmante. Aide-nous. Donne-nous un conseil ». Mais au lieu de cela, ils se plaignirent, ils pestèrent, ils râlèrent comme des Français. « C’était mieux avant ! Mieux quand on était esclaves des Egyptiens ! » Cette vitupération est caractéristique de l’homme ignorant, de celui qui ignore la délivrance réelle. Elle est typique de celui qui vit toujours dans l’esclavage et qui ne voit rien de bon dans sa vie.

Dieu protège les siens. Il les fait traverser la Mer et ensuite Il engloutit la puissante armée des Egyptiens. Après le passage de la Mer rouge, le peuple marche plusieurs jours sans trouver d’eau, jusqu’au lieu appelé « amertume » (mara) où ils trouvent une eau amère qui ne peut étancher leur soif. Alors le peuple murmure contre Moïse disant : « Que boirons-nous ? (Exode 15) Pauvres de nous, qu’allons-nous devenir ? » Ils auraient pu dire : « Nous rendons grâce à Dieu pour nous avoir sauvé tant de fois. Mais maintenant, nous avons soif. Alors prie pour nous, cher Moïse, afin que nous ayons de l’eau ». Mais non. Ils ont préféré se plaindre. Pourquoi se plaignent-ils ?  Parce qu’ils n’ont pas le désir sincère de sortir de l’exil. Ils ne veulent pas sortir de l’obscurité vers une vie de foi et de lumière. Ils sont sortis à contre cœur, comme quelqu’un qui rend un service. « Nous t’avions prévenu, Moïse, ne nous fais pas sortir de ce beau pays d’esclavage ! Nous sommes sortis seulement pour te rendre service !  Et vois maintenant ce qui nous arrive ! Tu trouves ça bien, peut-être ? »

Après avoir adouci les eaux, le peuple murmura encore contre Moïse. Les Israélites n’avaient plus soif, mais avaient faim. « Que sommes- nous morts par la main de Dieu en Egypte quand nous avions de quoi manger ! Nous avions tant à manger alors et à satiété ! Et maintenant ? RIEN !! Moïse nous a amenés dans le désert afin de mourir de faim !!! »

On constate à nouveau que pour remplir leur ventre, ils étaient prêts à renoncer à la liberté. En fait, l’être humain n’est vraiment libre que lorsqu’il s’affranchit des besoins du corps et des désirs du mental. Chercher la vie dans les besoins du corps est illusoire. Car de cette façon, l’homme est esclave de son corps éphémère et périssable. Il n’existe pas de pire esclavage.

Du ciel, Dieu fait alors descendre de la farine en quantité suffisante pour nourrir chaque Israélite. Voyant la farine, ceux-ci s’exclament : « qu’est-ce que c’est que ça ? » –  en hébreu manou, d’où le nom de manne. Le peuple ramasse la manne ; il la broie avec des meules ou la pile dans un mortier, il la fait cuire et en fait des gâteaux. La manne a le goût d’un gâteau à l’huile. Mais cela ne leur plaît toujours pas. « Nous voulons de la VIANDE avec le pain ! En Egypte, on avait de la viande ! Non mais, c’est incroyable ça ! Il n’y a vraiment pas de service ! C’est vraiment N’IMPORTE QUOI ! »

Le peuple est entêté. Après avoir vu tant de miracles – la protection de Dieu qui assume la forme d’une colonne de lumière le jour, d’une colonne de fumée la nuit, après avoir traversé à pieds secs la Mer rouge et avoir été nourri par la manne – au lieu de s’émerveiller devant la bonté de ce Dieu qui donne autant de bienfaits en quantité et en qualité, ils se plaignent à la première difficulté, à la première épreuve. Faiblesse de la volonté, incapacité de tolérer le moindre désagrément et la moindre frustration, le peuple n’est jamais content. Ce que Dieu donne, dans sa bonté, n’est jamais assez. Ils en veulent plus et MAINTENANT !

Moïse entendit le peuple qui pleurait. Il s’adressa alors à l’Eternel : « Pourquoi affliges-tu ton serviteur, et pourquoi n’ai-je pas trouvé grâce à tes yeux, que tu m’aies donné à charge tout ce peuple ? » Dieu, lui aussi en colère, répond à Moïse : « Dis-leur qu’ils mangeront de la viande, dès demain, et après-demain et tous les jours de leur vie, ils en mangeront encore et encore, jusqu’à qu’elle leur sorte des narines et qu’ils en éprouvent du dégoût, parce qu’ils ont rejeté l’Eternel qui est au milieu d’eux et qu’ils ont pleuré devant Lui, en disant : pourquoi sommes-nous sortis d’Egypte ? » (Nombres 11, 8-20).

Nous avons ici une explication de l’errance du peuple. Si les Israélites ont campé dans le désert pendant quarante années, c’est parce qu’à aucun moment ils n’ont eu la moindre reconnaissance. Cette génération va donc mourir dans le désert, sans rentrer dans la Terre promise. Dieu ne veut plus rien leur donner, puisqu’ils ne sont pas en mesure de l’apprécier.

Le manque de gratitude est souvent la source de notre insatisfaction. Le philosophe Epictète écrivait : « Le sage est celui qui ne s’afflige pas de ce qu’il ne possède pas, mais se réjouit de ce qu’il possède ». Développer en soi le sentiment de gratitude, cela signifie ne rien prendre pour un dû, mais constamment rechercher et donner de la valeur à tout ce qui nous arrive. Rien ne va de soi, en vérité. Mais tout commence par une volonté de bien agir. Il nous faut développer la capacité d’exprimer notre gratitude par la parole ou par l’action. Alors, on reconnaîtra que la main de Dieu est partout à l’œuvre et tout ira bien.

Dans les évangiles, Jésus assume le rôle d’un « nouveau » Moïse. C’est lui qui a choisi ses disciples, qui les a guidés et qui les a instruits. Jésus est tout pour eux et au moment où il leur annonce son départ, ils sont fortement affligés. Jésus leur dit alors : « Que votre cœur ne se trouble point, et ne s’alarme point. Croyez en Dieu, et croyez en moi » (Jean 14, 1). Jésus associe étroitement croire en Dieu et croire en lui. La vérité, c’est que connaître le Christ équivaut à rencontrer Dieu, tant il est vrai que pour la Bible, le verbe « connaître » est plus qu’une simple connaissance, mais implique une relation vivante. En connaissant Jésus comme le Christ, on rencontre véritablement Dieu.

Par ailleurs, pour Jésus, le « croire », c’est-à-dire la pleine confiance en Dieu, s’oppose au « trouble », à l’inquiétude. Les disciples sont au bord du découragement. Le Maître s’en va, que vont-ils devenir ? Jésus les exhorte en disant que c’est grâce à une foi bien éclairée et affermie qu’ils pourront surmonter l’épreuve troublante de la Passion, ainsi que les crises qui ne manqueront pas d’agiter la communauté des croyants. Il leur dit qu’il leur enverra son « esprit ». Il est vrai que le mot grec parakletos est parfois rendu dans les Bibles modernes par « Paraclet ». Mais ce mot n’a aucun sens dans notre langue. Les anciennes versions françaises optaient pour « Consolateur », pour « Défenseur » ou pour « Avocat ». C’est bien d’un avocat de la défense qui plaide la cause des chrétiens contre les accusations des gens qui « haïssent le Christ », et d’un consolateur pour contrer les calamités de l’existence, dont il est question ici.

En parlant de l’Esprit qui viendra consoler et défendre ceux qui croient en lui, Jésus fait  allusion à son départ. Il ne sera plus visiblement là pour assurer la défense et la protection de ses disciples, lesquels en ont pourtant grandement besoin.  C’est pour compenser son absence que Jésus prie le Père d’envoyer ce nouveau défenseur, qu’il désigne comme un autre lui-même. « Je ne vous laisserai pas orphelin, je viendrai à vous » (Jean 14, 18). Le verbe « venir » est en fait ici au présent : « Je viens ». Jésus sait bien que sa mort va susciter chez les siens le sentiment d’être abandonné sans défense (or le statut d’orphelins, à l’époque, était encore plus tragique qu’aujourd’hui). « Encore un peu et le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez, parce que je vis, et vous aussi vous vivrez » (v. 19).

Nombreux sont ceux qui, dans notre société déchristianisée, disent que Dieu est mort. Nombreux sont les chrétiens, autant catholiques que protestants, qui se lamentent sur la difficile situation du christianisme en France. Ils voient le vieillissement des fidèles et s’écrient : « Qu’allons-nous devenir ? Nous allons disparaître et notre petite église avec nous ! C’était tellement mieux avant ! Bientôt, il n’y aura plus de chrétiens dans le monde ! » Mais rien n’est plus faux. Dieu est vivant et Il continue à nous aimer et à nous guider.

Il se peut que notre génération s’éteigne avant qu’elle ne puisse voir les miracles de l’Esprit. Mais la Parole nous survivra, c’est une certitude. La vérité, c’est que nous sommes parfois ingrats. Dieu nous a donné son Fils. Il nous a donné une communauté. Il nous a donné une église. Nous devrions donc cesser d’errer dans le désert de la désolation.

Qu’est-ce qui nous manque ? La « connaissance du Seigneur » nous manque. Nous croyons que Dieu est absent, alors qu’Il est là, silencieusement à notre côté. « En ce jour-là, vous connaîtrez que moi (je suis) en mon Père, et vous en moi, et moi en vous » (v. 20). Cette communion est toujours possible. Jésus nous demande de garder ses commandements, afin de demeurer en lui, ce qui signifie garder la tête haute et apprécier les choses que nous avons reçues. Et ne pas errer dans un désert pendant quarante longues années à nous plaindre.

Jésus dit encore : « Je vous donne la paix, je vous donne ma paix. Je ne la donne pas comme le monde la donne ». La paix du Christ. Cette paix est ressentie quand nous sommes capables d’avoir de la gratitude. Dietrich Bonhoeffer, le grand théologien protestant exécuté par Adolf Hitler, écrivait : « Nous recevons bien plus que nous ne donnons et seule la gratitude permet d’enrichir l’existence mais, dans notre quotidien, nous ne saisissons guère cette réalité ! »

La paix du Christ. Lorsque nous cessons d’être toujours insatisfaits, à propos de tout et de rien, alors nous apprécions la vie que Dieu nous a donnée. « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Quand nous voulons vraiment ce que nous prions, alors tout va bien. Quand nous ressentons de la bienveillance, de l’amour, de l’appréciation et de la compassion, le rythme du cœur se régularise et la communication entre le cœur et le cerveau se fait mieux. Alors nous devenons heureux. Pour nous le certifier, Jésus répète une deuxième fois à ses disciples : « Que votre cœur ne se trouble point, et ne s’alarme point ».

Jean-Christophe Perrin

Catégories : Prédication